Cela fait longtemps que je suis persuadé que notre profession et ses principaux représentants communiquent au mieux avec leurs pieds
Quelques récentes initiatives remarquables et rondement menées, comme celle de La Coopération Agricole me redonnaient espoir et foi en la capacité de notre profession d'être audible vis à vis du grand public.
C'était sans compter le désastre de la nuit dernière ...
Pourquoi en sommes nous arrivés à de tels événements ?
Un décalage ahurissant et grandissant entre la réalité du monde agricole, et la manière dont il est perçu par le grand public, via la presse, les politiques, les ONG, la publicité et les réseaux sociaux !!
Quelle peut être l'image perçue par le "grand public" du monde agricole ??
Je reformule plus
Il ne faut pas se leurrer, l'information n'est plus "gratuite" de nos jours, et malheureusement on assiste à une hiérarchisation des informations dont le seul but est de vendre du papier ou de récupérer de l'audience.
Quelques exemples des plus criants, ces derniers mois, avez vous entendu parler sérieusement des diverses crises que traverse notre profession ? Quelques lignes ou mots ici ou là sur l'embargo russe ou une récolte miracle en céréales, mais quid des artichauts ? du prix des pommes de terre pratiquement divisé par trois ? des cours des céréales, du lait, du sucre en chute libre ? Du revenu agricole en chute libre ?
Non, à la place, on nous vend à la fois du rêve et de l'apocalypse
Du rêve ?
Oui, la plus grande ferme de France, à portée de métro ou de RER de n'importe quel Francilien (presque 1/5 des électeurs/spectateurs français.. ), l'endroit incontournable ou se doit d’être tout homme politique qui se respecte ( Ou pas .. ), Le salon de l'agriculture !! Avec une concentration de médias impressionnante qui nous vend des images d'idéaux bucoliques.
Je vais passer rapidement sur l'amour est dans le pré, ceux qui me connaissent savent Ô combien j’apprécie cette émission, mais elle a malheureusement le droit de citer dans ce paragraphe.
Les reportages saisonniers ( ou marronniers ) sur les vendanges, la transhumance, les moissons à l'ancienne et autres récoltes diverses, le bio, les amaps, etc ...
Pour résumer, de jolies images, parfois en décalage total avec la réalité du terrain, mais qui agrémentent bien un JT ou un magazine, du rêve en boite pour tout citadin en manque de verdure !
De l'apocalypse ?
Je n'irais pas jusqu'à dire que l'on aurait assez des doigts d'une main si l'on comptait les jours pendant lesquels les médias ne parlaient pas de Pesticides, OGM, Monsanto, Scandales alimentaires, Nitrates, Pollution, brevetage des semences, la "méchante FNSEA et ses agriculteurs industriels" etc ...
Comme exemple récent, nous avons la fameuse étude de séralini parue dans le nouvel obs avec des photos de rats tuméfiés en couverture ...
Plus anxiogène au quotidien, on ne peut pas ...
Un grand écart médiatique et informatif qui laisse en fait un trou béant d'ignorance du grand public sur les réalités agricoles qui attise les convoitises de tout bon communiquant qui se respecte, qu'il travaille pour un politique, une ONG environnementale, ou un "petit épicier" tel carrefour ...
Pourquoi ?
RT @Klaire: Apple Store, 1940. pic.twitter.com/RcEIWVX13c
— Samuel Goldschmidt (@rtlgrandest) 20 Septembre 2014
Cette petite illustration résume très bien l'évolution de notre société de consommation.Mis à part pour le dernier iPhone, nous sommes passés en 70ans d'une économie qui n'avait
pas à se soucier de ses débouchés, tout manquait, une économie de production, à une économie avec des marchés saturés et une offre pléthorique dans laquelle il faut savoir se démarquer pour vendre, une économie que certains qualifieront d’Économie de Nuisance
Et c'est là ou tout le travail des communicants devient extrêmement intéressant et j'oserai dire "facile" pour tout ce qui touche de près ou de loin à notre alimentation.
Profiter de cette zone d'ombre médiatique, entre rêve et apocalypse, est alors un jeu d'enfant.
Personne (du grand public) ne lit la presse spécialisée, n'a de véritables références pour déceler telle ou telle "petite" liberté prise vis à vis de la réalité de la vie et de l'économie agricole.
Cela devient donc un jeu d'enfant de profiter de ces zones d'ombres pour exacerber les peurs du grand public "laissé dans l'ignorance" ( je vais éviter de faire du Macron :-D) afin de lui refiler tel ou tel produit "bon pour sa santé" "sans méchants pesticides" "équitable" "sans nitrates" "respectant l'environnement" et j'en passe ..
Tout le monde y retrouve son compte, du distributeur, qui fait forcément plus de marge avec ses produits plus chers, au publicitaire, en passant par les médias donneurs de leçons, et surtout les politiques qui essaient de laver plus blanc que blanc en surenchérissant pour une agriculture plus respectueuse de ceci, moins industrielle, une agroécologie ...
Quels dommages collatéraux ?
Derrière ces deux façades médiatico - antagonistes de l'agriculture on oublie souvent qu'il y a des femmes et des hommes qui aiment leur métier et qui essaient d'en vivre.
Bon nombre des ces femmes et ces hommes souffrent, je dirais presque quotidiennement de ce que je qualifierait d' "Agriculture Bashing"
Un coup on les aime, un coup on les déteste, ou alors on les aime, mais on ne leur fait pas confiance, enfin cette relation avec le grand public est on ne peut plus complexe et difficile à vivre !!
Un double langage politique déconnecté des réalités
Pour faire de la politique, il faut parfois faire preuve d'une très grande souplesse et savoir faire des grands écarts improbables pour tenter de suivre l'opinion, quitte à faire des conneries ...Je vais vite passer sur la ferme des 1000 Vaches, qui n'est soit disant pas le modèle de notre ministre, alors que ce dernier a lourdement promu son plan méthanisation ....
Sans oublier la promotion de l'agroécologie, alors qu'il était question de 20% de bio dans l'accord vert PS de 2011 ...
Les exemples sont nombreux je ne vais pas m'attarder dessus, le plus intéressant restant à venir
Une situation économique explosive
Difficile de trouver un secteur agricole qui se porte bien cette année, que ce soit les maraichers, céréaliers, eleveurs, patatiers, betteraviers, producteurs de fruits, etc ... Tous les marchés sont en berne !!La redistribution des aides PAC, soit disant des céréaliers vers les éleveurs (je reste toujours dubitatif sur l'effet obtenu) decidée à la suite des revenus prévisionnels 2012 (avec un gros doute sur la sincérité des chiffres à l'époque) était partie d'un principe simple, piquer des sous dans un secteur ou la situation semblait normale pour aider un secteur sinistré.
Idée simpliste basée sur un historique plus que restreint, résultat aléatoire, mais que faire en 2014 ????
Tous les secteurs sont sinistrés pour des raisons de baisse des cours, d'embargo russe, de qualité moyenne et de récolte mondiale abondante ...
Les trésoreries des exploitations sont exsangues, et mis à part une avance des aides PAC ou un report des cotisations MSA,qui ne sont qu'un moyen de reporter à plus tard les "soucis" rien n'est réellement mis en place pour essayer de trouver une solution ...
Tout ceci mis bout à bout ..
Entre désespoir de la situation, incompréhension du grand public, et probablement la volonté de se faire entendre et surtout relayer efficacement par les médias, ce désastre a été commis !
Pourquoi j'insiste sur le "relayer efficacement par les médias" ? Simplement parce qu'un simple déversement d'artichauts devant une préfecture n'aurait pas suffit, avez vous entendu parler dans les médias nationaux de ces événements récents ?
RT @PRESSEAGRICOLE 400 tracteurs à Rodez (FDSEA-JA) : «non à la zone vulnérable !» [vidéo] avec le lien ;-) http://t.co/xfxBgfXNBH
— FDSEA 12 (@FDSEA12) 19 Septembre 2014
Non,pas assez de casse et de polémique pour retenir l'attention ...
Une communication et une image désastreuse ..
J'ai quelques doutes quand à la pertinence des déclarations de certains responsables syndicaux locaux..
Que l'on comprenne et que l'on explique les raisons de ces événements c'est normal, qu'ils soient félicités pour "avoir osé", non ..
C'est plus que contre productif, aussi bien pour le message syndical à passer que pour attirer la sympathie du grand public ...
Et à consulter les réseaux sociaux, la FNSEA n'avait pas franchement besoin de cette " publicité inopportune .."
On notera également une petite divergence de langage entre M. Valls et S. LeFoll, l'un condamnant
«énergiquement» samedi les «saccages et destructions par incendie» des deux bâtiments, en promettant des poursuites judiciaires; l'autre étant plus modéré, en appelant «l'ensemble des acteurs à l'apaisement et à la responsabilité pour rechercher les solutions de gestion de cette crise»
Notre premier ministre devrait s'enquérir auprès de son porte parole, et accessoirement ministre de l'agriculture, de la gravité de la situation.
Ce dernier doit savoir, je l’espère, sur quelle poudrière il est assis !! Et une chose est certaine, vu la conjoncture, ce n'est plus la peine d'essayer d'opposer céréaliers et éleveurs, cela ne fonctionnera plus !!
Pour conclure, je souhaite de tout cœur qu'il y ait un avant et un après Morlaix.
Ces événements doivent faire réfléchir la profession dans son ensemble sur la manière avec laquelle elle doit s'exprimer et manifester son mécontentement
Les démonstrations de force et de violences sont forcément très mal perçues par le grand public.
Il y a d'autres moyens d'attirer l'attention des médias tout en évitant toute destruction inutile, bloquer les portes d'une chaine "d'infos" en continu avec des artichauts et des pommes de terre peut en être une par exemple, mais par pitié, évitons les saccages !!!!